Au décès brutal de son oncle Philippe, Jean-François Cazeau n’avait pas encore atteint la cinquantaine et, quoique marchand depuis dix-sept années, se considérait presque comme un novice. «La qualité de ce métier, c’est la patience», professe aujourd’hui celui qui, après avoir semé en solitaire depuis 2009, commence à récolter les premiers fruits. Dans sa galerie du Marais, désormais, Picasso joue des coudes avec Léger, tandis qu’une Femme qui marche, signée Giacometti, se fraye un chemin entre Masson et César. Les collectionneurs qui rêvent d’un Renoir ou d’un bronze de Germaine Richier, assurément, savent à qui s’adresser. Chacune des pièces, disposées comme dans un appartement à quelques pas du musée Picasso, a son histoire, sa singularité, justifiant sa valeur.
«J’ai reçu de mon oncle une formation militaire ou religieuse », raconte le galeriste parisien qui a gardé une pointe d’accent béarnais. Auprès de ce précepteur réputé, lui-même formé chez les Wildenstein, Jean-François a appris à connaître les artistes et l’histoire de l’art, bien sûr, mais aussi à comprendre les collectionneurs. Ceux qui lui font confiance ne sont pas du genre compulsif et délaissent le «contemporain marketé» des artistes millionnaires commercialisées par les méga-galeries. «Il faut trente ans pour savoir si une œuvre va tenir», assure-t-il en défendant crânement l’intemporalité de Pierre Bonnard, Georges Mathieu ou Bernard Buffet.
Plutôt que de brader dans la panique d’une crise, Jean-François Cazeau maitrise l’art du stockage : un Soutine important, acheté à la casse dans les années 90, puis baladé de foires en foires sans trouver preneur, a battu un record d’enchères une petite décennie plus tard. «Les valeurs sûres retrouvent leur côte avant les autres», théorise le neveu émancipé, qui s’autorise de rares écarts avec des artistes vivants qui ont le bon goût de rappeler Soulages ou Miro.
Le « second marché », selon l’expression consacrée, délivre sa dose d’adrénaline, pour le marchand qui tient entre ses mains une part du patrimoine de l’humanité. Ici, la prise de risque repose sur l’expertise sur l’authenticité, la provenance et la conservation. «L’instinct aussi, c’est un apprentissage», fait savoir Jean-François Cazeau. Quant au sens commercial, il s’exprime par un art de la conversation, nourrit par la présentation d’objets anciens, ici une tête de lion Khmer, là quelques objets vieux de plus de 4000 ans. «Les acheteurs, notamment étrangers, apprécient d’être emmenés sur les chemins de traverse. Lorsqu’ils viennent nous voir, c’est aussi pour apprendre ce que l’on s’est donné la peine de savoir». On est toujours le novice de quelqu’un.
Portrait réalisé par Daniel Bernard